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Entretien avec Sahé Cibot, première partie
 21 Janvier 2013, 00:00   linksky   Article

C’est à la suite de Japan Expo Centre et Belgium que nous avons pu rencontrer Sahé Cibot, présidente de Soundlicious et également responsable des relations avec le Japon de SEFA Event (société organisatrice des conventions Japan Expo). En ce qui concerne l’univers des idols que nous essayons de vous faire partager, il s’agit d’une actrice majeure de la venue en France des Morning Musume。, ASÔ Natsuko, Buono!, PASSPO☆, Momoiro Clover Z ou encore Kikkawa You et très prochainement Kyary Pamyu Pamyu. Soit la majeure partie des évènements estampillés “idols” sur notre territoire...

Sahé Cibot


C’est à la suite de Japan Expo Centre et Belgium que nous avons pu rencontrer Sahé Cibot, présidente de Soundlicious et également responsable des relations avec le Japon de SEFA Event (société organisatrice des conventions Japan Expo). En ce qui concerne l’univers des idols que nous essayons de vous faire partager, il s’agit d’une actrice majeure de la venue en France des Morning Musume。, ASÔ Natsuko, Buono!, PASSPO☆, Momoiro Clover Z ou encore Kikkawa You et très prochainement Kyary Pamyu Pamyu. Soit la majeure partie des évènements estampillés “idols” sur notre territoire...
Au vu de la longueur de l’entretien qu’elle nous a gentiment accordé, ce retour sera en deux parties : la première se concentre aujourd’hui sur son parcours et son travail en tant que tel. Dimanche prochain, la seconde nous placera à la croisée des chemins de son activité et de notre humble média, soit tout ce qui a trait aux évènements autour d’idols.
Mais lançons-nous sans tarder dans près de deux heures de discussions autour de la J-music et plus particulièrement des idols en France !


INN : Pourrais-tu tout d’abord te présenter aux lecteurs, revenir sur ton parcours ?
S.C. : Je travaille dans l’univers de la pop culture japonaise depuis environ 2001 2002. J’ai commencé principalement dans le manga, pas forcément parce que j’en étais fan, mais parce que je suis franco-japonaise et j’ai donc des affinités avec la culture japonaise. J’ai grandi en regardant peut-être plus de dessins animés au Japon qu’en France. En fait, j’avais cette envie de faire découvrir à mes amis des choses qui n’étaient pas encore parues en France, c’est un peu une spécificité. Après, de fil en aiguille, j’ai rencontré des personnes qui avaient des projets dans le manga, et j’ai donc débuté dans ce domaine. J’ai travaillé avec la société Akata sur plusieurs projets, en collaboration avec Delcourt. On a aussi travaillé dans le milieu du dessin animé et l’on avait déjà commencé à évoquer des projets musicaux à l’époque, puisque l’on voulait créer un label Akata Records. Label qui finalement ne s'est pas fait, mais c’était mon premier contact avec l’industrie de la musique.
Suite à ça, j’ai quitté Akata pour diverses raisons. J’avais également besoin à cette période de voler un peu de mes propres ailes, de me faire ma propre expérience, de découvrir davantage d’autres domaines, en l'occurrence l’audiovisuel, la production, la musique... J’ai créé ma propre structure, qui s'appelait Kotengu, puis en 2005 Soundlicious qui, à l’époque, était un label. On a sorti des CD de MUCC, GARI, SUIKA... Ce n’était pas forcément par choix, mais plus simplement par opportunité, des gens qu’on connait, des artistes qu’on nous présente et qui nous plaisent... Je marchais beaucoup au coup de cœur, mais je me suis rendu compte que ce n’était pas toujours ce qui marchait et permettait de faire tourner la société. Mais j’avais besoin de passer par cette phase. Puis en 2008, j’ai rejoint l’équipe de Japan Expo pour m’occuper de toutes les relations avec le Japon. Au fil du temps, je me suis ainsi consacrée de plus en plus au développement de l’interface avec le Japon de cette organisation. Cela me permettait d’utiliser les contacts que j’avais développés jusqu’à présent dans tous les domaines, sauf dans le jeu vidéo où je n’en avais pas. Mais en ce qui concerne celui du manga, du dessin animé, du film, de la musique, j’avais déjà ces contacts et cela m’a permis de les utiliser pour créer de nouvelles choses, des évènements dans Japan Expo. C'était très intéressant pour moi.

Soundlicious

En ce qui concerne l’aspect musical, je voyais que je n’arrivais pas à faire tourner le label financièrement. Je voulais arrêter complètement Soundlicious quand les personnes à l’origine de Japan Expo (Thomas Sirdey, Jean-François et Sandrine Dufour) m’ont proposé qu’on crée une société ensemble, qu’on remonte Soundlicious et que le travail que j’avais fait jusque-là ne se perde pas. Ce qui était regrettable à l’époque, c’est que j’arrivais avec ma toute petite structure, j’essayais de monter quelques projets, mais en face je parlais tout de même avec des sociétés assez importantes au Japon, Pony Canyon par exemple. Au bout d’un moment, elles voulaient passer à plus gros : plus grosse structure, plus de moyens, plus de bling-bling aussi... J’avais tendance à ne pas dire des choses que je ne pouvais pas faire et c’était en quelque sorte une limite au développement de cette activité. Puis en terme de motivation, ce n’était plus trop ça non plus.
Le fait de m’associer aux créateurs de Japan Expo m’a en fait donné une sorte de base solide sur laquelle je pouvais alors m’appuyer pour argumenter en allant voir les labels, les managements japonais. Je pouvais leur dire en quelque sorte : “Soundlicious, version 2.0, c’est de l’évènementiel, on se concentre sur les concerts, on s’appuie sur l’expérience Japan Expo. On est ainsi plus fort qu’avant et on va mieux pouvoir faire connaître vos artistes”. Du coup, on arrivait avec une proposition plus séduisante pour eux, on pouvait faire des promesses plus importantes et qu’on pouvait tenir. En terme de développement, c’était plus intéressant et pour les Japonais et pour moi.
On s’est ainsi lancé là dedans en 2010 et l’on a fait relativement peu de projets depuis. Il y a en parallèle les projets musicaux et Japan Expo... On a donc décidé d’être très sélectif au niveau de ces projets, de ne travailler qu’avec des structures qui sont intéressées par l’étranger. Car on s’est rendu compte que forcer la main des gens ne marchait pas, parce qu’ils avaient alors des attentes trop importantes par rapport à la réalité du marché ici. Surtout quand il s’agit de groupes très connus au Japon, leur dire : “back to the roots, vous venez en Europe et puis ce sera comme si vous faisiez vos débuts au Japon...” C’est un petit peu difficile à avaler pour eux des fois. Donc si je me remémore les projets, on a travaillé sur un concert des Morning Musume。, un concert de VAMPS, Natsuko ASÔ, Buono!, Uplift Spice... je crois que c’est tout. On a fait des tentatives de projet qui n’ont pas abouti et en parallèle, comme on s’occupe également de la programmation du JE Live House, cela nous permet aussi de “tester” des groupes. On ne se les garde pas forcément sous le coude après, on a tellement de choses à faire qu’on sélectionne les gens avec qui l’on veut travailler. Mais on cherche aussi à ce que le JE Live House soit un tremplin et si jamais un gros tourneur ou label qui vient à Japan Expo se dit qu’il veut travailler avec tel ou tel groupe, ce qui est arrivé à un autre gros tourneur européen, le Live House sert à cela.
On développe ainsi le Live House et d’autres projets, on essaye de continuer à faire ce que l’on aime tout en étant plus conscient des réalités du marché. Je ne l’étais pas forcément au tout début parce que j’étais dans l’idéal de faire connaître ce que j’aime... Et l’idéal en réalité, c’est de trouver l’équilibre entre “les fans sont contents”, “les artistes sont contents”, “le management est content”, “nous sommes contents” et personne ne perd de sous ! (rires) Ce n’est pas toujours évidement à avoir mais c’est l’équilibre que l’on recherche.

Tu évoquais tes activités dans l’édition, as-tu gardé des travaux ou projets dans ce domaine ou te consacres-tu uniquement à l’organisation d’évènements musicaux ?
La majeure partie de mon travail, c’est vraiment la programmation de ce que l’on appelle les contenus japonais sur les différentes conventions estampillées Japan Expo. Ceci prend déjà pas mal de temps... À côté de ça, j’essaye de me tenir au courant de ce qui se fait dans l’édition et je garde un lien avec Casterman avec qui j’ai travaillé pendant quatre ans, en tant que coordinatrice éditoriale. Je les vois de temps en temps pour du conseil. Il m’arrive notamment de leur proposer des titres pour leur collection Sakka, maintenant que je sais ce qui lui correspond vraiment.

Dans le livre que Florent Gorges a publié sur l’histoire de Nolife, il évoquait une rubrique de Oto que tu aurais pu présenter... Quel regard portes-tu aujourd’hui sur la chaîne et de manière générale sur les médias qui traitent de la J-music ?

Cover du projet THAT'S NIP-HOP (© Soundlicious)

Nolife est un cas un peu particulier, car Alex et Seb (Alex Pilot et Sébastien Ruchet, cofondateurs de la chaîne, ndlr) sont des amis à la base. On avait travaillé ensemble sur mon projet THAT'S NIP-HOP, où je leur avais demandé de s’occuper de toute la production du DVD. Au-delà de l’aspect professionnel, où vraiment je les respecte pour ce qu’ils ont monté comme projet, les efforts qu’ils font pour faire connaître leur passion et pour développer un truc qui est culotté parce que particulièrement centré sur ce qu’ils aiment et veulent faire connaître, c’est vraiment des amis, des gens que j’apprécie humainement. Quand ils ont décidé de monter Nolife, on en a parlé, enfin je ne sais plus comment ça s’est fait... À l’époque Fabrice (Buon, ndlr), qui est chez Up-front maintenant, travaillait avec moi. On s’était rencontré tous ensemble pour voir ce que l’on pouvait faire autour de la musique — c’était à l’époque où Soundlicious était un label — et à notre niveau, il y avait deux choses : demander à nos contacts des clips pour alimenter la chaîne puis on avait pensé à l’émission Oto (rubrique de la quotidienne 101%, dédiée à la J-music, ndlr).
En fait, Oto à la base, c’était Caroline (Segarra, présentatrice actuelle de la rubrique sur Nolife, ndlr), moi et Fabrice avec chacun une rubrique différente : Caro les actus, Fabrice une rubrique présentant des liens entre la J-music et des jeux vidéo, des dessins animés ; un peu comme un crossmedia. Et moi c’était des choses plus pointues sur un genre musical, un artiste, un coup de coeur... On avait même enregistré un pilote d’émission où j’avais parlé d’un rappeur beatboxer qui s’appelle Afra, qui n’a jamais été monté, je crois. Finalement, cela ne s’est pas fait, Nolife a dû choisir ses priorités, Fabrice et moi étions débordés, ils ont décidé de se concentrer sur la partie actus. Mais il faut savoir que le nom Oto était une idée que j’avais eue par des amis, qui avaient déjà réfléchi à un tel concept. N’ayant pas utilisé cette bonne inspiration, on l’a finalement reprise. Pour le logo du générique avec le kanji 音 (oto, le “son” en japonais, ndlr), les baffles et les enceintes, c’était Fabrice qui y avait pensé... Donc on a eu nos petites contributions comme ça et à défaut de participer à l’émission, on a quand même continué à les alimenter en terme de clips.
Aujourd’hui, je leur passe donc des clips des artistes qui se produisent à Japan Expo et autres petits festivals, ou des artistes que je fais tourner en France ou en Europe, mais je leur fais aussi un peu de publicité au Japon. Quand je vois des gens qui me posent des questions sur le marché français : comment aller en France, comment se faire connaître... je leur dis de commencer par passer des clips à Nolife et de voir s’il se passe quelque chose. “Il ne se passera peut-être rien, il faudra peut-être du temps pour qu’à un moment, il y ait un déclic. Mais commencez par contacter Nolife, voyez ce que vous pouvez faire avec puis, après, si vous voulez vous lancer dans une tournée, on en parle.” Je fais en quelque sorte de la promo de Nolife parce que pour moi, c’est un média clé pour la J-music. C’est quand même la première fois qu’il y a des gens qui sont assez passionnés et encore une fois, assez culottés pour se dire : “nous on s’en fout, on passe des clips de musique et s’il n’y a pas d’audience pendant ces moments-là... tant pis. Il y en aura à un autre moment et puis au global, ça s’équilibrera peut-être. Mais nous, on veut faire connaître la J-music.” Voilà, je trouve ça très important pour le milieu de la J-music et pour son développement en France.
Après, tout ce que j’espère, c’est que les Japonais se rendent compte de l’importance de ce média. En 2010, j’étais allée au Tokyo International Music Market où j’avais suggéré des thématiques. On m’avait dit alors : “vous n’avez qu’à le faire, vous !” Et je m’étais ainsi retrouvée à organiser une conférence, à choisir des intervenants... Je m’étais beaucoup amusée à faire ça. Puis c’était l’occasion où jamais de présenter Nolife1, de montrer à quel point les japonais doivent s’appuyer dessus. J’avais également présenté la Fnac, j’étais restée personnellement avec ma casquette Soundlicious et il y avait Thomas Sirdey qui était venu parler de Japan Expo. Le fil conducteur de ces interventions était de dire qu’il y a en France des gens qui sont prêts à les aider, à faire connaître leurs artistes ou leur musique : “On est là, parlez-nous !” Au final, quand Nolife a évoqué un possible arrêt, moi, intérieurement, j’étais un peu en panique. Si Nolife n’existe plus, il y a toujours internet, mais ce n’est pas pareil, ce n’est pas la même approche, ce n’est pas la même passion, c’est plus diffus en fait...
Sinon, en ce qui concerne les autres médias, notamment les spécialisés sur internet, j’ai toujours été pour le développement même des blogs sur les artistes japonais, parce que cela fait de la visibilité et fait toujours connaître les groupes. Après, si l’on parle du téléchargement illégal, c’est un large débat... Il y en a qui en souffre, d’autres moins. Moi je vois aussi cela comme un vecteur de promotion et je pense que, pour l’avoir constaté sur Japan Expo ou même pendant nos concerts, même s’ils ont téléchargé les mp3, si vraiment ils aiment et qu’ils veulent soutenir l’artiste, les gens achètent. Je trouve qu’on a la chance d’avoir des fans qui ont un lien tellement fort avec les artistes qu’ils sont vraiment dans le soutien, dans l’envie de les faire connaître. Les concerts sont toujours très fort en fait parce qu’il y a une sorte de bulle qui se crée, un lien fort entre les artistes et les fans. Je crois que c’était la chanteuse d’Uplift Spice qui m’avait dit qu’elle avait vraiment l’impression de faire corps avec les fans et ça, vraiment, on le ressent, à chaque concert... Vu de l’extérieur, ça donne vraiment la chair de poule et je trouve cela vraiment grisant. Je suis reconnaissante envers les fans, le public français en général, de pouvoir créer ce genre de moment. Les médias y contribuent et c’est important qu’ils restent.
[1] : Le passage au TIMM de Sébastien Ruchet est disponible pour les abonnés sur Nolife Online.

Au travers de la place que tu occupes maintenant dans l'univers de la J-music en France, quel regard lui portes-tu actuellement ? On parle beaucoup de l’arrivée de la K-Pop...

Affiche du Music Bank K-Pop Festival

En fait, pour moi, la K-Pop doit être vue comme une opportunité pour la J-music. Ça me désole de voir certains Japonais prendre cela de manière négative, ils devraient plutôt l’aborder comme une opportunité, une brèche qui s’est ouverte et surfer sur la vague. Il ne faut pas penser K-Pop versus J-Pop ! Enfin, on n’en est pas là... puis si l’on fait une telle chose, la K-Pop l’emporte, on ne va pas se leurrer. Il faut bien voir qu’il y a plein de gens en France ou en Europe qui se disent que les Asiatiques sont tous pareils, qu’importe ce qu’on leur oppose quand on connait bien l’Asie. J’avais pris conscience de ça en discutant avec une fille de dix-sept ans, qui m’avais dit : “j’adore les restos japonais, j’adore les nems et le riz cantonais” (rires). J’avais trouvé cela peut-être pas forcément représentatif en soi du grand public, mais c’est tout de même comme ça pour beaucoup de gens ! Du coup, si déjà au niveau des restaurants c’est un peu le grand mixte alors au niveau de la musique, n’en parlons pas... Ensuite, on va plus toucher les gens en fonction des genres musicaux. Si Gangnam Style cartonne, peut-être que ceux qui aiment le rock ne vont par contre pas accrocher. On est aussi dans un pays, en tout cas en France, où les gens ont une certaine “conscience” des nuances musicales je dirais. Même s’il y a une segmentation qui s’est faite avec le marketing, les boutiques ; souvent les artistes japonais me disent que lorsqu’ils aiment la musique, les gens réagissent ! Ils montrent qu’ils aiment et apparemment, ce n’est pas forcément le cas au Japon. C’est une force que l’on a.
Pour en revenir à la K-Pop, se serait se saboter que d’inventer une guerre avec la J-Pop parce que ce n’est pas les mêmes moyens, les mêmes objectifs, les mêmes personnes qui sont derrières, même l’histoire des groupes n’est pas la même. Et le marché n’est également pas du tout le même. En résumé, c’est tellement différent qu’on ne peut pas dire “ça”, c’est mieux que “ça”. C’est juste différent, complémentaire. Si je parle simplement de la J-Pop, c’est le moment de surfer sur la vague et de dire que l’on fait aussi des choses bien, de se montrer davantage, de prendre confiance en la qualité de ce que l’on fait, d’assumer cette couleur musicale ! J’espère qu’il y aura une sorte de prise de conscience qui va avoir lieu, dans le bon sens du terme et que s’il doit y avoir compétition, que cela soit une compétition constructive et pas du simple dénigrement. Cela ne servirait à rien. Pour moi, il faut vraiment construire ensemble. Ou se mettre en compétition si l’on veut, mais que ce soit en cherchant à se dépasser mutuellement et en construisant quelque chose au final.
Personnellement, quand j’ai cherché le nom de la société, Soundlicious, j’ai d’abord étudié un nom japonisant. Mais je me suis rendu compte que je ne voulais pas d’un tel nom parce que je ne veux pas m’enfermer dans la musique japonaise. Avant d’en écouter, j’étais comme tout le monde, j’écoutais des artistes français ou anglo-saxons. D’ailleurs, je connais peut-être moins la musique japonaise, des génériques par exemple, que certaines personnes ! Mais voilà, je ne voulais pas m’enfermer dans un genre. Si un jour j’avais une opportunité avec des artistes qui me plaisaient et que j’avais envie de faire un projet, quelle que soit leur origine, je ne voulais pas ne pas pouvoir le faire simplement parce que ce ne serait pas cohérent avec le nom de ma boite. Donc j’ai pensé à Soundlicious et du coup, si demain on me présente un artiste coréen qui veut venir en europe, je serai ouverte à discussion. J’avais ainsi échangé avec quelqu’un qui voulait faire venir des artistes du Mali. Ça me semblait un peu trop lointain et il manquait des éléments pour que j’y voie clair sur la faisabilité de la chose mais en résumé, Soundlicious ne ferme pas de porte.

Du coup, as-tu eu l’impression que les managements autour de la J-music avaient saisi cette opportunité ? De manière générale, sans forcement de rapport à la K-Pop, est-ce que les mentalités évoluent vers plus d’ouverture envers l’étranger ?
Un petit peu, ça commence à se voir, mais cela dépend surtout des personnes. Il n’y a pas une dynamique du pays contrairement à la Corée. Je ne ressens pas non plus une dynamique de société, quoiqu’un peu, mais j’ai l’impression que cela repose vraiment sur qui s’occupe de quel artiste. Je commence à constater quand même qu’il y a un intérêt renforcé pour l’Europe, pour l’étranger. L’exemple le plus intéressant est pour moi le groupe Crossfaith. Ce n’est pas du tout des idols pour le coup, mais on les a eus à Japan Expo Belgium et j’avais discuté avec leur tourneur. Ils ont un tourneur américain qui a un bureau en Angleterre et au Japon, ils sont chez Sony Music Artist en management. Ils font du metal hardcore qui est un genre qui ne cartonne pas là-bas d’une manière générale. Du coup je lui avais demandé un peu ce qu’il prévoyait, comment il travaillait avec eux... En fait, il me disait qu’ils étaient vraiment centrés sur le développement à l’étranger. Ce sont ainsi des gens qui acceptent de faire des tournées de trois mois, de faire plusieurs concerts par semaine, qui sont dans une dynamique d’y aller à fond. C’est quelque chose que je trouve intéressant parce que l’on a souvent contacté des artistes japonais en leur proposant des choses, mais qui déclinaient au final, car ils voulaient se concentrer sur le marché japonais. Tant pis, encore une fois on ne va pas forcer les gens à faire ce qui ne leur plaît pas mais aujourd’hui, il faut, je pense, que le Japon sorte de sa coquille et qu’il s’ouvre vers l’étranger. Des groupes comme Crossfaith, qui sont dans cette dynamique-là, c’est bien. Il y a MAN WITH A MISSION aussi dans cette dynamique, Up-front qui bouge beaucoup et va à l’étranger, il y a de plus en plus d’initiatives et de recherches d’informations en tout cas. Parfois c’est fait maladroitement, parfois ils veulent faire tout comme au Japon. Mais bon, c’est inhérent aux différences culturelles de toute façon, ce n’est pas propre à la musique.

Crossfaith (© Crossfaith)

MAN WITH A MISSION
(© MANWITHAMISSION)

Passons à des aspects ayant plus trait à l’organisation des évènements en France. Pour commencer, de manière générale, la sollicitation à l’origine de ces derniers vient-elle plutôt du côté japonais ou du côté français ?
Je vais un peu me répéter, mais en fait, avant, la sollicitation venait de moi vers le Japon. Du coup, je me mettais en position de demandeur alors que j’étais en plus une petite société. Ce n’était pas très confortable, mais il y avait quand même des gens intéressés par le marché français. Maintenant, comme on bénéficie de l’appui de Japan Expo et que l’on a réussi à mettre en place de gros concerts, je n’irai pas jusqu’à dire que la tendance s’est inversée, mais c’est un peu plus équilibré. Autrement dit, on peut dialoguer avec les sociétés japonaises dans un objectif ayant rapport à ce que les gens aiment bien appeler “win win”, où chacun y trouve son compte. Dans le cas de Japan Expo, c’est nous qui sommes sollicités. Pour le coup, c’est vraiment une demande externe qui vient des Japonais. Dans le cas de Soundlicious c’est un peu différent, cela reste une approche où l’on se tourne un peu autour... De notre côté, on va observer s’il y a un réel intérêt de la part des Japonais pour venir en Europe, c’est vraiment le point de base. Et les Japonais vont étudier si ce que l’on peut leur proposer correspond à ce dont ils ont envie, si l’on dépasse les limites des choses acceptables pour eux en terme d’offre financière...
Parce que l’aspect financier n’est pas facile à gérer : même s’il y a beaucoup de fans, on est obligé de faire une tarification assez élevée par rapport à des concerts de groupes français. Mais même s’il y a des gens qui peuvent avoir l’impression inverse, il faut savoir qu’on ne cherche pas à dépouiller les fans (rires), on est quand même sur des budgets serrés. Si je n’avais que l’activité des concerts, si je n’avais pas Japan Expo donc, je ne pourrais faire tourner la boîte. Si l’on ne faisait que le nombre de concerts qu’on fait actuellement, aux tarifications qu’on pratique, la société n’existerait plus. En résumé, on essaye vraiment d’avoir l’équilibre dont je parlais tout à l’heure. Puis l’on essaye aussi de faire comprendre aux Japonais que si l’on pratique un tarif assez élevé, il faut aussi qu’ils fassent des concerts d’un peu plus de quarante-cinq minutes ! Si possible une heure trente, deux heures, voire plus s’ils s’en sentent l’énergie. Il y a tout un travail d’explication à faire au Japon, qui est plus au moins flexible par rapport à ça. Mais on cherche vraiment à trouver cet équilibre et même si ce n’est pas toujours évident, comme on recherche à l’origine les gens qui sont ouverts à ce genre de discussion, on arrive à aller de l’avant...

Par rapport à cela, quelle part de liberté avez-vous dans l’organisation d’un évènement ? Par exemple, est-ce que vous allez pouvoir donner des pistes concernant la playlist d’un concert par rapport aux attentes du public français, influer sur la tenue d’une dédicace ou autre ? Autrement dit, avez-vous ce niveau d’échange ou les Japonais vont-ils à l’opposé plus être dans la simple bonne tenue de l’évènement qu’ils auraient prévu de leur côté ?

Kyary Pamyu Pamyu
Handshake Japan Expo 13

À partir du moment où l’on essaye de travailler un maximum avec des personnes qui s’intéressent au marché soit français, soit européen, ils seront tout de même généralement en demande de conseil. Donc autant que faire se peut, nous leur donnerons ces conseils. Après s’ils ne veulent pas en tenir compte, tant pis pour eux et un peu tant pis pour nous... Parce que la démarche est quand même de faire en sorte que événement se passe bien, que les fans soient contents et qu’il y ait une ambiance de fou, etc. Au niveau de la setlist, s’il y a besoin on peut donner nos recommandations. Pour les activités autour du concert, nous essayons en fait de proposer le maximum de choses dans la mesure du possible, du planning... Mais l’on va toujours essayer d’organiser des activités autour du concert, à savoir : séance de dédicaces par exemple. Si une séance de dédicaces n’est pas possible, on va essayer de voir ce qui est envisageable à la place. Est-ce que c’est un meet&greet ? Est-ce que du coup il faut qu’on fasse une sélection beaucoup plus pointue pour qu’une dizaine de personnes rencontre l’artiste ? Je dis un peu n’importe quoi mais pour résumer, on essaye d’apporter un plus, d’évènementialiser le concert, que ce ne soit pas juste ce concert et allez, au revoir !
Il faut voir que lorsque les artistes japonais viennent en Europe, c’est souvent pour peu de temps en tout cas en ce qui nous concerne, l’avion coûte cher, nos tarifs d’entrée ne sont pas donnés... Il faut encore une fois que tout le monde y trouve son compte, que les fans soient contents, que l’on trouve un juste équilibre entre l’état de fatigue des artistes et le côté “rencontre avec les fans”. On a conscience que comme ils ne viennent pas souvent, pas longtemps et de manière vraiment très évènementielle, il faut utiliser ce temps pour que cela soit... condensé, mais fort ! Et en tirer une qualité d’échange en tout cas avec les fans, sachant que si l’on pouvait faire en sorte qu’il y ait une séance de dédicace assez rapide pour que tous les gens qui sont présents au concert en aient une en sortant, on le ferait. Sauf que humainement, ce n’est pas possible.
Donc il y a toujours une sélection faite d’une manière ou d’une autre, c’est un peu à moindre échelle comme à Japan Expo où tous les visiteurs ne peuvent pas obtenir une dédicace d’un invité d’honneur. On est donc obligé de réfléchir à des systèmes, une forme de sélection pour réussir tout de même à faire quelque chose. Je m’étais un peu fâchée une fois, sur Facebook, je crois, parce que les gens se plaignaient des systèmes de dédicace. J’avais répondu : “soit on fait quelque chose, soit on ne fait rien. Et si personne n’est content, on ne fait rien. Mais nous, on essaye”. Donc après les gens avaient dit : “Mais si, c’est bien...” (rires). Voilà, je sais qu’on ne peut pas satisfaire tout le monde. Mais on essaye quand même de faire des choses et si jamais le nombre de mécontents est plus important que le nombre de contents, ou en tout cas le nombre des contents plus ceux qui s’en moquent... On ne va pas non plus jeter de l’huile sur le feu, faire des choses qui fâchent les gens et qui fatiguent les artistes. Nous essayons d’évènementialiser nos concerts et, encore une fois, de trouver un équilibre entre la satisfaction de tous les acteurs.

À la suite des évènements, quel niveau de feedback le management vous demande en règle général ? Y a-t-il par exemple un échange post évènement sur les retours de la presse ou des fans ?
Cela dépend... En ce qui concerne les retours du public, généralement ils savent parce qu’ils étaient sur place. Ensuite, pour Up-front typiquement, comme ils ont des francophones et anglophones dans l’équipe, ils ont plus de facilités à avoir le feedback presse. Après c’est vraiment du cas par cas. Cela dépend justement comment la partie relation presse est traitée, des contraintes qu’on a (de validation des photos par exemple). Nous essayons d’ailleurs de leur dire à ce propos de ne pas poser de contraintes. “S’il ya des gens qui prennent des photos, ça vous fera de la pub.” Mais ils ont vraiment une mentalité très différente, surtout les idols et les groupes de Visual key. Comme ils sont très tournés sur le contrôle de l’image, c’est extrêmement important pour eux et parfois, on aboutit à des choses un peu incohérentes. Je ne citerai pas qui mais un jour, on m’a dit : “pas de photographes dans la zone presse” (un espace au pied de la scène justement destiné aux photographes, ndlr). Je leur demande pourquoi : “car on ne veut pas qu’il y ait de photos qui soient prises sous la jupe !” J’ai ri et leur ai demandé pourquoi leur mettre alors des jupes si courtes ? Là, les Japonais m’ont dit : “oui enfin bon, oui pourquoi... mais bah... parce que.” (rires). C’était amusant mais bon, soyez cohérents entre ce que vous dites et faites !

Et sur le long terme, avez-vous des échanges avec les artistes qui sont venus, est-ce qu’ils vont vous recontacter de temps en temps pour prendre le pouls d’un éventuel retour par exemple ?

UPLIFT SPICE

Pour être honnête, pour le moment Japan Expo m’a pris énormément de temps. Je n’ai pas pu faire réellement de suivi sur le long terme avec des artistes avec qui on avait déjà travaillé donc. C’est un choix de priorité finalement. Maintenant, un groupe comme Uplift Spice par exemple, j’ai envie de le faire revenir et je sais qu’ils ont envie de revenir aussi ; mais qu’ils veulent passer à un cran au-dessus. C’est-à-dire par exemple, participer à un festival de rock en France. J’ai ça dans un coin de ma tête, je vais le faire. Enfin je vais essayer de le faire en tout cas, mais je ne sais pas quand. Si l’on regarde d’autres artistes avec qui l’on a travaillé... Vamps par exemple. C’est un cas un peu particulier avec l’Arc~en~Ciel, Vamps, les activités croisées, mais on reste en contact avec le management. Natsuka ASÔ, pareil, on reste en contact avec le management. On se dit que l’on aimerait faire quelque chose avec elle mais là aussi, c’est dans la timeline de nos potentialités...
C’est comme s’il y avait des choses qui flottaient comme ça, on ne les a pas fait descendre dans un planning, mais oui, j’ai envie de retravailler avec des artistes que j’ai fait venir. Je l’avais fait à l’époque de Soundlicious le label, on avait travaillé plusieurs années d’affilées avec MUCC avant qu’ils ne décident de collaborer avec Gan-Shin, deux ou trois ans. On a également beaucoup travaillé avec GARI. Malheureusement ils n’ont pas la notoriété de MUCC au Japon, mais on les a fait venir en France trois fois ! Donc c’est quelque chose que j’ai déjà fait, c’est quelque chose que j’ai envie de refaire ! Mais peut-être de manière un peu moins risquée que GARI par exemple, je préfère avoir une stratégie un peu cohérente où on évolue, on passe d’une étape à une autre. On ne va pas prendre le concert la tournée Uplift Spice qu’on avait faite en 2011 pour le refaire, par exemple en 2013. Ce n’est pas intéressant, ni pour eux ni pour nous. Si on les fait revenir, il faut qu’il y ait un plus, une évolution qui d’une part les motive à venir et d’une autre, nous motive personnellement aussi.

D’après toi, qu’est-ce qui fait la différence entre l’organisation d’évènements avec des artistes japonais et des artistes français ou anglo-saxon ?
Je pense déjà qu’il faut connaître la culture japonaise, parler japonais. Je m’en rends compte souvent. Par exemple, nous faisons nos contrats en anglais. Et quand le contrat est en anglais, cela prend beaucoup plus de temps, même quand on essaye de l’expliquer en japonais. Il faut au moins que les choses puissent être expliquées en japonais. J’envoyais parfois des listes de matériels audio/vidéo en anglais, c’est donc plein de chiffres et de lettres. Personnellement, “1MD quelque chose”, je ne sais absolument pas ce que c’est, alors quand on me demande de le traduire... Voilà, on est quand même avec des gens qui n’ont pas encore tous l’habitude de sortir à l’étranger. Ils le font de plus en plus en Asie mais ce n’est pas encore la majorité. Je pense qu’il y a également une certaine peur de ne pas comprendre, comme ce sont des personnes qui sont vraiment dans le souci du détail et de tout bien faire. Ils ont donc peur que si un contenu est en anglais, ils n’en comprennent pas quelque chose et que du coup, ils ne fassent pas bien...
Par conséquent, il faut qu’il y ait au moins quelqu’un dans la structure qui parle japonais, qui puisse les rassurer (parce que ce sont des grands inquiets), leur expliquer ou leur traduire des choses. Pour au final voir si ce qui est proposé leur va ou non. Dans ce second cas on négocie mais les négociations en tant que telles, il vaut mieux qu’elles se fassent en japonais parce que l’approche “à la française” peut être perçue de manière agressive pour eux... Au final, je dirais que la différence entre une structure spécialisée dans les artistes japonais et une structure internationale, ou purement européenne/française, dans le cadre d’artistes qui ont moyennement l’habitude de sortir du Japon, c’est la connaissance de la culture et la maîtrise du langage. Mais un grand groupe international qui n’aurait pas de japonisants dans son équipe aurait d’autres arguments. Au final, je ne sais pas comment les Japonais font leur choix mais je pense que la connaissance de la culture, de la manière de communiquer ainsi que du langage est un vrai plus.

C’est ainsi que s’achève la première partie de cet entretien. La seconde sera publiée dimanche prochain et abordera des thématiques plus centrées sur les idols.

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